Souveraineté africaine :Alex Anfruns salue les actions de l’AES
L’actualité en Afrique de l’ouest particulièrement l’Espace sahélien intéresse certaines personnalités à des milliers de kilomètres.C’est le cas de Alex Anfruns, ancien Journaliste et présentement Professeur à Casablanca au Maroc.En début de cette année il sort un livre intitulé « Niger : Un autre coup d’Etat ou la révolution panafricaine ».Visiblement attaché aux questions de panafricanisme et de souveraineté africaine,Alex Anfruns,cet anti-néocolonialiste que l’on qualifie de défenseur des peuples du sud répond dans les lignes qui suivent aux questions de votre journal Colombe Média.Des questions en lien avec le retrait des trois pays de l’AES de la CEDEAO.
1-Motivation de l’écriture :
Colombe Média :Vous avez mentionné que la rédaction de votre livre a été motivée par le coup d’État au Niger en 2023. Pourriez-vous expliquer en détail ce qui a spécifiquement suscité votre intérêt dans cet événement et comment cela a conduit à l’écriture de « Niger : Un autre coup d’État ou la révolution panafricaine » ?
Alex Anfruns :J’ai été révolté par l’annonce d’un ultimatum de la Cedeao et le soutien des puissances étrangères comme la France à une intervention militaire au Niger.
J’ai toujours analysé la réalité sociale et politique européenne en faisant le lien avec la situation dans les anciens pays colonisés. Je n’ai cessé de dénoncer les mécanismes néocoloniaux et les guerres impérialistes. C’est pourquoi j’ai pris très au sérieux les réactions au coup d’Etat qui a renversé Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023.
Dans un premier temps j’ai observé le soutien populaire au CNSP et les revendications quotidiennes en faveur du départ des troupes françaises. Cela m’a poussé à formuler l’hypothèse qu’il ne s’agissait pas d’un simple putsch. En analysant l’histoire du Niger, j’ai compris que tous les éléments étaient réunis pour une situation révolutionnaire. J’ai notamment investigué quel a été le rôle et l’impact des politiques du FMI dans ce pays, qui a contribué à affaiblir l’Etat et à favoriser les intérêts de l’ancienne puissance coloniale à travers ses multinationales. Ces recherches, en plus des analyses apportées par mon expérience en tant qu’ancien journaliste, ont nourri mon travail d’écriture.
J’ai conçu mon livre comme un manuel de contre-propagande pour répondre aux pseudo-arguments qui avaient pour but de démoraliser les peuples africains en lutte pour leur souveraineté.
2 – Révolution panafricaine et soutien populaire :
Colombe Média :Vous affirmez que les présidents du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont le soutien de leurs peuples. Comment évaluez-vous cette dynamique entre les dirigeants militaires et leurs populations, et en quoi cela diffère-t-il des régimes précédents, notamment en termes de soutien populaire ?
Alex Anfruns :Dans la situation particulière et historique que traversent les pays du Sahel, force est de constater que les coups d’État n’ont pas été le résultat de quelques aventuriers putschistes. Des années de contestation et d’ébullition sociale se sont cristallisées dans l’action déterminée de quelques hommes appartenant aux armées nationales, qui ont mis en avant la nécessité d’un revirement de stratégie militaire et de politique de coopération avec le partenaire traditionnel qui était la France. Le contexte de guerre avait mis ces nations en danger de mort. Encouragés par les armées, les peuples se sont en train de s’approprier la défense de la nation. Dans l’histoire depuis les Indépendances, des strates de la société, notamment la paysannerie, étaient restés isolés du destin de la nation.
Les capitalistes rentiers s’étaient appuyés sur une alliance avec les chefferies traditionnelles et conservatrices, au profit d’un système néocolonial qui entretenait l’extrême pauvreté. Avec l’AES, il y a une mobilisation de la population en faveur de la lutte pour la décolonisation culturelle et économique, en étant consciente que c’est sa tâche historique. C’est un élan d’unité populaire qui n’est pas la même chose que l’unanimité… Les capitalistes rentiers ont été appelés à contribuer à la production nationale. Les bandits armés derrière le drapeau du fanatisme religieux ou le séparatisme ont été appelés à abandonner les armes, et à rejoindre l’appartenance nationale. D’autres acteurs sont appelés à arrêter les divisions, à abandonner leurs privilèges et à soutenir le processus de construction de la souveraineté populaire.
La propagande contre les actuels gouvernements de l’AES a présenté ces militaires comme étant soutenus seulement par quelques manifestants dans les grandes villes, et dépourvus de soutien dans les zones majoritairement rurales dans ces pays. Pourtant, c’est dans les zones rurales, notamment celles touchées par le fléau du terrorisme, où les militaires ont un soutien important, de la part des déplacés internes par exemple. La perception depuis les grandes villes n’est pas complète ni représentative de la situation dans le reste du pays, il existe un regard conditionné par le confort de certaines classes sociales, qui ne correspond pas aux priorités de la majorité de la population.
Comme cela a été clairement expliqué par Ibrahim Traoré, le soutien aux régimes précédents était faussé par la pratique de la corruption et l’achat de votes. Ce qui arrive aujourd’hui, c’est exactement le contraire : le peuple est appelé à contribuer par des dons au Fonds pour la Sauvegarde de la Patrie.
3 – Relations avec la France et coopération avec la Russie
Colombe Média : Dans votre ouvrage, vous mettez en avant la question des relations avec la France, soulignant la nécessité pour les pays africains de diversifier leurs partenaires commerciaux. Pourquoi estimez-vous que la Russie puisse être un partenaire fiable, en particulier dans les domaines de la technologie et de l’armement, et comment cela pourrait influencer la dynamique régionale ?
Alex Anfruns : Il ne fait pas de doute que sur ces deux volets, la Russie est un partenaire important pour l’Afrique. Le père de la Libération de la Patrie Cubaine, José Marti, avait très justement indiqué que le pays qui ne veut pas rester l’esclave d’un autre pays plus fort économiquement, doit diversifier ses partenaires commerciaux. Historiquement, la Russie a aidé à construire des barrages et autres projets d’infrastructure dans certains pays d’Afrique. Mais les accords néocoloniaux avaient empêché aux pays du Sahel d’acquérir une véritable Indépendance au bénéfice de leurs populations. Aujourd’hui, la Russie est en mesure d’aider les pays africains à construire des centrales nucléaires. C’est la volonté exprimée par de nombreux Etats africains, non seulement du Sahel : depuis le Maroc, jusqu’à l’Egypte en passant par l’Ouganda, l’Ethiopie, le Mali ou le Burkina Faso, ces Etats pourraient faire un bond en avant dans la production électrique. L’accès à l’électricité au Niger est de seulement le 13% de la population au niveau national (mais 1% dans les zones rurales où habite le 80% de la population). Au Burkina Faso l’accès est de 19% au niveau national selon des données de la Banque Mondiale. 70% de la population vit en zone rurale, et seulement 3% a accès à l’électricité. 60 années après l’Indépendance, qui pourrait nier au peuple burkinabè, son droit aux avantages de la modernité grâce à l’électrification ?
De même, qui peut nier le droit à ce que les armées du Sahel se dotent des équipements militaires adaptés afin de faire face à la menace des groupes armés qui déstabilisent leur pays ? Si la Russie, la Turquie ou l’Iran leur permettent d’accéder à une technologie que les partenaires traditionnels leur ont refusée, les Etats africains seront moins dépendants des opérations militaires extérieures qui se sont avérées être un échec. Je rappelle qu’un chef d’Etat-major de l’armée impérialiste française avait annoncé qu’il leur fallait rester au Sahel jusqu’en 2050 afin d’assurer leur sécurité. La vision sécuritaire européenne pourrait ne pas correspondre à la vision de la sécurité panafricaine. Contrairement à ce que la propagande répète, la Russie n’est pas derrière les coups d’Etat militaires ni derrière les manifestations anti-françaises, elle est aux côtés des peuples et leurs nouveaux dirigeants dans la recherche de la souveraineté nationale.
4-Révolution panafricaine et risque de contagion.
Colombe Média : Vous décrivez les dirigeants actuels du Burkina Faso, du Mali et du Niger comme l’avant-garde de la révolution panafricaine. Craignez-vous que cela puisse inciter d’autres pays de la CEDEAO à adopter des voies similaires, potentiellement menant à une multiplication des coups d’État au sein de la région ?
Alex Anfruns :Pour moi ce n’est pas une possibilité à craindre, mais à espérer. Nous n’avons qu’à regarder la situation au Sénégal pour nous rendre compte que la démocratie a été vidée de sa substance. Selon moi ce que les peuples africains doivent craindre, ce n’est pas l’arrivée de coups d’Etat militaires souverainistes, mais le statu quo d’une classe dirigeante qui prolonge la misère de millions de personnes en les poussant à l’exode ou en abandonnant une partie de la jeunesse pour être la proie des groupes armées dans une logique nihiliste et autodestructrice. Dans mon livre j’émets clairement l’hypothèse que d’autres pays d’Afrique de l’Ouest suivront la voie tracée par les Etats du Sahel. Quel sera le prochain pays à joindre la Révolution panafricaine ? Mais je comprends l’inquiétude de certains : une armée panafricaine est difficile à corrompre. La vision de développement régional et autocentré de l’AES met en danger la logique du capitalisme international, des ONG’s occidentales, et de l’aide internationale. Le renforcement des Etats africains, qui réussissent à diversifier leurs partenaires afin de faire bénéficier leurs populations à partir des ressources nationales, est une mauvaise nouvelle pour ceux qui ont pratiqué le pillage sans limites et qui ont méprisé le droit au développement de l’Afrique.
5 – Sortie de la CEDEAO par l’Alliance des États du Sahel :
Colombe Média : l’annonce de la sortie conjointe de la CEDEAO par le Mali, le Burkina Faso et le Niger est un point clé dans votre livre. Comment interprétez-vous cette décision, et en quoi pensez-vous qu’elle pourrait contribuer à l’unité panafricaine que vous prônez dans vos écrits ?
Alex Anfruns :Tout d’abord, l’unité panafricaine ne consiste pas à répéter des discours creux en faveur de l’alternance démocratique. L’alternance dans un système politique où il existe des centaines de partis, mais où le pouvoir économique reste toujours dans les mains d’une élite dirigeante, n’est pas une véritable démocratie. C’est dans ce sens que les valeurs préconisées par la Cedeao apparaissent comme une abstraction déconnectée des réalités des peuples africains. La crise au Sénégal est une nouvelle démonstration de ces contradictions, tout comme la déclaration du président Patrice Talon, qui a changé son avis sur la politique de sanctions contre le Niger et a dit qu’il faut passer désormais à une autre politique de la Cedeao. Mais n’oublions la deuxième partie de sa phrase, lorsqu’il a dit que la CEDEAO doit écouter ce que veulent le Mali, le Niger et le Burkina Faso, à propos de leur période de transition, car cela permettrait d’éviter que ces pays poursuivent leur rêve dans l’AES, en le limitant à une déclaration d’intentions. Patrice Talon ne semble pas comprendre qu’il est trop tard : les Etats du Sahel ont déclaré que leur annonce de retrait est irréversible ! Et le peuple nigérien n’est pas prêt à oublier la souffrance infligée par la Cedeao, à travers les sanctions et le blocus qui lui ont empêché d’accéder aux médicaments ou à l’électricité. Les dirigeants de la CEDEAO ont démontré qu’ils sont des traitres à la cause panafricaine.
L’unité panafricaine, c’est la vision de développement à moyen et long terme au bénéfice des populations laissées pour compte par des décennies de souffrance imposée par l’obéissance au FMI, c’est l’entrée en scène d’une population qui regagne la fierté et la confiance dans son avenir en Afrique, au lieu d’être expulsée par les routes du désert et la traversée meurtrière de la Méditerranée qui est devenue le cimetière marin de la jeunesse africaine. La révolution panafricaine, c’est une rupture totale par rapport à une situation marquée par des politiques néocoloniales. Le panafricanisme c’est aussi la puissance d’un rêve, celui de millions d’enfants et de jeunes africains qui ont le droit de vivre, de créer et de s’épanouir en regardant un horizon de bonheur et dignité.
✍️ Joël SORÉ/ COLOMBE MÉDIA
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